La villa Saint-Benoit.

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Par Dr. Pierre Bertrand

La villa Saint-Benoit.

La villa appartenait au début aux 2 frères Pineault. C’étaient deux prêtres, l’un, Lucien, était curé de la paroisse du Saint nom de Jésus et Marie sur la rue Adam, dans le quartier Maisonneuve et l’autre s’appelait Albert qui est devenu, plus tard, curé de la paroisse Sainte Madeleine d’Outremont.

Le terrain comportait tout ce qui est aujourd’hui les chemins Larrivée et Saint-Benoit et les terrains de chaque coté, à partir d’Hector Bilodeau. La pointe sud, sur le lac, s’appelait le bec au canard. Pourquoi ? Je ne le sais pas ! La limite nord de ce domaine était la ligne qui séparait les lots 28 et 27, le lot 28 étant la propriété de mon père.

La villa était ce qui est actuellement la maison de M. Legault, exactement les mêmes dimensions et le même décor extérieur et était sur pilotis, le solage ayant été fait beaucoup plus tard. Il y avait, près du bord de l’eau, un petit cabanon dans lequel se trouvait la pompe à eau à essence. Au troisième étage de la maison, il y avait une chapelle avec un autel et tout ce qu’il fallait pour célébrer la messe. Les deux frères y demeuraient avec leur sœur Georgette qui était pratiquement l’homme de la maison. Ils y passaient l’été. Il y avait aussi un grand jardin à peu près où se trouve le stationnement actuel.

À ce moment, dans les années 20, il n’y avait pas de route et tout le transport se faisait par le lac. Il y avait donc un quai important à quelque cent pieds au sud du cabanon de la pompe.

À cette époque, les villégiateurs avaient l’habitude de donner un nom à leur villa. Ainsi la villa Saint-Benoit s’appelait . La villa de l’abbé Groulx s’appelait et chez nous ça s’appelait . Ces noms étaient peints sur la roche au bord de l’eau. Chez les Pineault le nom peint était celui de leur mère, chez l’abbé Groulx, c’était en l’honneur de Champlain qui avait ainsi nommé son habitation à Québec. Il l’écrivait sans h, et chez nous le nom avait été donné par les propriétaires antérieurs qui étaient des prêtres du collège Sainte Thérèse où enseignait également l’abbé Groulx. Ils l’avaient ainsi nommé en dérision des idées un peu de grandeur qu’inspirait l’historien abbé Groulx. Je me souviens, enfant, que tout les étés ma mère repeignait sur la roche devant le chalet à peu près où se trouve le kiosque actuellement. On entendait, sur le bord de l’eau, les exclamations de reproche quand, les promeneurs sur le lac voyaient, d’après eux, l’épouvantable faute d’orthographe peinte sur le rivage de villa de l’abbé Groulx, abitation sans H.

Les curés Pineault vinrent à mourir et leur sœur, Georgette, hérita de tout le domaine. Georgette était très attachée aux communautés religieuses, dont l’abbaye de Saint Benoit du lac Memphrémagog et les franciscaines de Mont Laurier dont le nom de famille de la mère supérieure était Matisse. Curieusement son frère Dom Matisse était moine à Saint Benoit. Quand les moines de Saint Benoit terminèrent leur monastère d’après les plans d’un des leurs, Dom Bellot, le même qui termina les plans du dôme de l’oratoire Saint Joseph, ils décidèrent d’en faire une ouverture officielle. C’était en 1940 ou 41. Georgette et son frère Albert décidèrent d’y aller et nous amenèrent maman et ses trois enfants. C’est réellement splendide ce monastère. L’architecture intérieure est aussi imposante que l’architecture extérieure.

Donc au décès de ses frères Georgette décida de se servir de son domaine pour promouvoir la ferveur religieuse. Avec ses contacts religieux elle organisa un camp liturgique sur son domaine. Elle fit bâtir plusieurs petits chalets et une grande salle communautaire, tout cela pour plusieurs groupes de femmes qui avaient décidé de se ressourcer dans la foi. Mère Matisse venait souvent au chalet de Georgette. On les voyait souvent qui prenaient des marches jusque chez nous ou venaient demander de l’aide à mon père. Ces camps liturgiques ont duré quelques années.
Georgette s’était entendue avec les moines de Saint Benoit pour qu’ils lui assurent une rente viagère moyennement le don de son domaine à sa mort. C’est ainsi que les moines ont fini par aboutir à Saint-Donat.

Avant le décès des frères Pineault, nous faisions quelques excursions en chaloupe, les Pineault, l’abbé Groulx et la famille Bertrand. Nous partions trois chaloupes. Ces excursions se faisaient sur semaine. Mon père n’y était pas car il ne venait à son chalet que les fins de semaines. Il ne prenait pas de vacance. Au chalet on avait un employé, Lucien Dumas, qui passait l’été avec nous pour faire les travaux
nécessaires, s’occuper de la chaloupe et son moteur, transporter la glace etc. Lors d’une excursion nous sommes allés, les Pineaut, les Groulx ( l’abbé, sa mère et une nièce) et nous, avec Lucien Dumas, va sans dire, dans la rivière Pimbina. J’avais six ans. Au barrage de la Pimbina qui était au même endroit que le barrage actuel nous avons fait un arrêt pour diner avant de faire le portage des 3 chaloupes pour aller jusqu’au lac Lajoie. Pendant le diner l’abbé Groulx nous a fait une lecture d’une partie de son roman . C’est un roman historique dont le début se passe à Saint-Donat par la rencontre d’un jeune descendant d’acadien avec une jeune fille de Saint-Donat et qui se termine par l’histoire de la déportation des acadiens car le jeune acadien décide d’aller en Acadie racheter une terre ancestrale. La partie que l’abbé nous a lue se passait à Saint-Donat sur le bord de la rivière Pimbina dont il fait une description. Je m’en suis toujours souvenu et ce n’est qu’au moins 10 ans plus tard que je suis tombé par hasard, dans une librairie, sur ce roman que j’ai acheté et j’ai reconnu les passages que l’abbé nous lisait. Le cap Blomidon existe réellement et se trouve en Nouvelle-Écosse dans la région d’Annapolis aux environs de Port Royal.

Après la mort de Georgette, les moines de Saint-Benoit décidèrent de se servir du chalet de Georgette , l’été seulement, pour y envoyer quelques uns de leurs membres qui avaient besoin de se refaire une santé mentale. Ils ont nommé Oscar O’Brien supérieur de ce petit groupe.

Oscar O’Brien n’était entré au monastère que depuis quelques années. Il était pianiste et faisait parti du groupe du Quatuor Alouette. À l’âge de 50 ans il décide d’abandonner cette vie tumultueuse d’artiste de cabaret pour entrer en religion. Ses compagnons tentent de l’en sortir après quelque mois mais il refusa. Il est un pianiste accompli et était reconnu dans le monde de la musique comme un expert en harmonie au point où un été un jeune musicien du nom de Roger Maton qui arrivait d’un stage de composition musicale à Paris, vint à Saint-Donat pour suivre des cours d’harmonisation pendant deux mois. Il trouvait qu’à Paris, on ne l’avait pas assez formé dans cette discipline. À la villa Saint-Benoît j’ai rencontré des moines de Saint-Benoît dont Dom Mercure, Dom Thibaudeau, Dom Matisse et d’autres dont j’ai oublié les noms. C’étaient tous des musiciens chevronnés qui pouvait jouer sur le piano qui s’y trouvait des partitas, des inventions de Bach et autres.

Mais l’abbaye de Solesme , en France, à laquelle l’abbaye de Saint-Benoît était affiliée trouvait que c’était un peu exagéré pour des moines d’avoir deux propriétés sur deux beaux grands lacs, qu’en somme, une maison d’été était de trop. Les moines avaient déjà une fondation qui prônait l’enseignement de la liturgie. Ils avaient et l’ont peut-être encore une maison d’objets liturgiques sur la rue Sherbrooke près de la rue Saint-Denis à Montréal. Ils cédèrent la propriété de Saint-Donat à cette fondation qui se chargea d’en faire des lots pour vendre. Cette fondation avait un conseil d’administration laîque dont le président était un monsieur Desmarais. Sur ce conseil, se trouvaient également plusieurs personnes de la région de Saint-Hyacinte. Et le groupe Larrivée est arrivé. La villa a été d’abord vendue à Jacques Issa qui y apporta plusieurs améliorations dont le solage si ma mémoire est bonne.