Monsieur Pierre Bertrand,

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Monsieur Pierre Bertrand
Première partie

À la fin de mon article du mois dernier, je vous annonçais une entrevue avec ce qu’on appelait autrefois un homme de la Renaissance intéressé depuis toujours par les arts, les lettres et la science. Je prévoyais une ou deux heures d’un bel après-midi pour une conversation à bâtons rompus mais je me suis aperçue qu’après 4, 5 heures nous n’avions qu’effleuré notre sujet. Il y avait en effet quelque chose d’émouvant à entendre Pierre nommer les gens du passé qui ont été déterminants dans la construction de sa personnalité et de son savoir. Alors, comme pour monsieur Victor Granger, je crois bien que sa biographie fera l’objet d’un second texte le mois prochain.

Par souci d’équilibre et de mise à niveau, Pierre a insisté sur le fait que pour forger un homme, il faut tout le travail des grands-parents et des parents. Il arrive rarement qu’un jeune garçon devienne un étudiant remarqué puis un médecin, un spécialiste faut-il dire, ayant biens et envergure, sans que le récit ne soit ponctué d’anecdotes où tous et chacun se dépêtrent avec une sorte d’élégance pour s’instruire, s’éduquer et finir par s’établir dans un aussi beau milieu de vie que Saint-Donat.

Sa grand-mère a eu 11 enfants et le grand-père de Pierre est décédé au mitant de sa vie. Cette fille de cultivateurs originaire de la région de Saint-Eustache/Saint-Placide a alors cherché comment faire vivre ses enfants. Ce qui l’a sauvée c’est sa capacité de faire une réflexion sérieuse et originale sur la nature humaine et sur l’importance qu’on accorde au « aller plus loin ». Personne n’est obligé de sans cesse revenir au quai qu’on lui avait destiné. Elle a ainsi vu qu’il était possible de travailler pas trop loin dans une centrale téléphonique à Sainte-Thérèse. Et pensant toujours à ses enfants, elle a décidé d’offrir le repas du midi aux étudiants du collège de Sainte-Thérèse. C’est ainsi que le père de Pierre, Charles, est arrivé à faire ses études de médecine… tout en montant des opérettes à Saint-Placide. Commence alors un récit émouvant où la musique a la place d’honneur.

Charles Bertrand est médecin généraliste. Il s’intéresse toutefois très rapidement à la phtisie c’est-à-dire au traitement des maladies pulmonaires et tout particulièrement à l’utilisation des appareils de fluoroscopie (Rayons X). Travaillant à l’Institut Bruchési là où se trouve aujourd’hui la Place Émilie-Gamelin de Montréal, il en deviendra directeur. Il se marie à 40 ans et part avec son épouse en Suisse puis à Paris pour étudier avec Émile Sergent et cotoyer un autre illustre chercheur, Raoul Kourilsky, qui a beaucoup aidé les Québécois qui voulaient étudier à Paris.

En 1920, Charles Bertrand arrive à Saint-Donat grâce à ses amis : « la gang des curés de Sainte-Thérèse » dira Pierre avec respect et reconnaissance. Des liens extrêmement forts et touffus se sont créés entre les Bertrand et les curés Lucien et Albert Pineault, l’abbé Lacombe, le chanoine Lionel Groulx et plusieurs autres. D’ailleurs c’est l’abbé Lacombe qui a trouvé un bel environnement et établi une chapelle à la Pointe-des-Prêtres. Croyez-moi, vous auriez voulu entendre les histoires de Pierre à ce sujet surtout en ce qui concerne l’achat par son père d’un terrain de plus ou moins 300,000 pieds carrés pour
1 000,00 $. Le curé Lucien Pineault a jugé que le terrain partait de la rue Aubin, exactement où se trouve l’actuel Bureau d’information touristique « jusqu’aux roches cassées où frappait très précisément le soleil à 2 heures de l’après-midi ». Or, avec le temps, Pierre et son père se sont rendus compte qu’en fait, eh bien, il y avait beaucoup de roches cassées au bord de l’eau et que le soleil arrivait aux roches désignées plutôt à 4 heures. Un jour, ils ont marché en ligne droite du coin Aubin question de vérifier et ils ont gagné 200 pieds de rivage !

Les curés Pineault ont aussi vendu des terrains aux Bénédictins de l’Abbaye Saint-Benoît-du-Lac pour construire une maison où envoyer les frères neurasthéniques se reposer avec un directeur, grand pianiste qui a fait partie du quatuor Alouette. À 50 ans, ce monsieur du nom de O’Brien, décide d’entrer dans les ordres mais on le destine à rester à Saint-Donat pour s’occuper de ces frères dépressifs avec deux prieurs qui venaient de temps en temps. Ces religieux, je vous passe les anecdotes savoureuses, s’ennuyaient ferme avec leurs protégés alors ils passaient la ligne et ils venaient jaser avec les Bertrand. Il s’avère qu’ils avaient besoin d’un chantre pour les nombreuses messes mais qu’aucun moine n’avait le droit d’être payé selon le règlement des Bénédictins. Le père de Pierre était ténor, maître de chapelle dans le sud-ouest de Montréal. Il avait initié Pierre au chant de sorte que celui-ci chantait deux messes par jour, six jours par semaine, d’abord au sous-sol quand on était encore apprenant puis aux autres étages quand on était assez bon. Il faut croire que Pierre a vite eu les qualités requises car Oscar O’Brien voulait absolument le payer en argent ou par des cours. Cela aurait été fort avantageux pour Pierre car son mentor était connu et respecté pour ses travaux d’harmonisation. Pierre n’a pas accepté d’argent mais a sauté sur l’occasion d’apprendre avec un élève d’O’Brien, monsieur Matton, qui avait passé un an à Paris pour étudier la composition. Un jour cependant, le prieur de Solesmes, au nord de la Loire (d’où venait Jeanne-Mance) oblige les Bénédictins à réfléchir au fait d’avoir « deux belles places » c’est-à-dire Saint-Benoît-du-Lac et le lac Archambault question de redéfinir le vœu de pauvreté. Je ne sais pas comment cette histoire finit mais cette abbaye était mère de la Congrégation bénédictine de France et foyer de plain-chant grégorien. C’est dire que Pierre est allé à la bonne école.

Je dois m’arrêter ici, au moment où le Pierre Bertrand que vous connaissez avance dans sa vie d’adulte. Vous voyez qu’il nous a fait faire des découvertes qui ont peu d’équivalents et qu’en fin de compte tout a commencé par le travail de grand-maman à la centrale téléphonique de Sainte-Thérèse. Suivez-nous le mois prochain.

Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse