Transport du bois sur le lac Archambault

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Par Dr. Pierre Bertrand

Transport du bois sur le lac Archambault

Le transport du bois sur le lac Achambault se faisait de deux manières selon qu’il s’agissait de bois durs ou de bois mou.

Le bois mou, épinette, sapin, cèdre, flotte et était emprisonné dans des booms pour être trainé sur le lac. Pour le bois de pulpe, sapin et épinette, les billots mesuraient 4 pieds et on les faisait descendre la rivière Saint-Michel au printemps à la fonte des neiges. On avait pris soin de bâtir des barrages sur plusieurs tributaires de la rivière pour conserver le plus d’eau possible et il y avait aussi 2 barrages sur la rivière. À la fonte des neiges on ouvrait tous ces barrage pour augmenter le plus possible le débit de la rivière et la faire déborder le plus possible surtout en haut des deux barrages précités puis on basculait à la rivière les pitounes qu’on avait cordées durant l’hiver sur ses bords. On appelait pitounes des billes de bois de 4 pieds de long. Chaque compagnie de bois marquait ses pitounes d’un poinçon qui lui était propre pour les reconnaître une fois rendues à la papetière. Dans notre région c’était la CIP qui coupait le bois et leur poinçon était une croix gammée. Ce qui faisait assez bizarre durant la dernière guerre.

Au pied de la rivière on installait un immense boom qui bloquait toute l’embouchure de la rivière. Un boom était formé de gros billots d’épinette de 12 pieds ou plus de long attachés bout à bout par une courte chaine. Le tout mesurait 200 ou 300 pieds ou peut-être plus.

Une fois toutes les pitounes au bas de la rivière, c’est-à-dire dans le lac, on encerclait les pitounes dans le boom en fixant ensemble ses extrémités, ce qui faisait un grand cercle. Puis on tirait ce grand cercle rempli de pitounes sur le lac jusqu’à sa décharge pour, ensuite, les déverser dans la rivière Blanche. Pour tirer cette grande masse de pitounes, on utilisait le SteamBoat.

Le SteamBoat était une grosse barge de 8 par 25 pieds avec les extrémités en oblique. Les mesures que je vous donne sont de mémoire d’enfant, c’est-à-dire fort incertaines. Dans cette barge était installée une bouilloire et un moteur à piston à vapeur qui actionnait deux treuils, un à chaque extrémité de la barge, et un essieu central qui actionnait deux roues à pales placées de chaque côté de la barge. Enroulé à chaque treuil, il y avait un câble d’au moins 300 pieds de long. C’est que les roues à pales n’étaient pas assez puissantes pour trainer une telle charge de bois dans l’eau surtout contre le vent. Donc on déroulait les deux câbles, l’un attaché au boom et l’autre, auquel était fixée une ancre qui était jeté le plus loin possible dans le lac. Puis on enroulait les deux câbles à l’aide des treuils, ce qui faisait avancer le boom. Il fallait connaître le fond du lac et calculer les distances d’ancrage car, à un endroit en particulier, près de la Pointe des Prêtres, l’eau est trop profonde pour permettre une bonne prise de l’ancre.

Une fois les pitounes déversées dans la rivière Blanche, le SteamBoat se trainait lui-même sur le sol à l’aide de ses treuils jusque dans la rivière Blanche et naviguait jusqu’au le lac Ouareau. On répétait le même manège pour la traversée du lac Ouareau jusqu’à sa décharge dans la rivière Ouareau.

Pour ce qui concerne le bois franc ou bois dur, c’est-à-dire érables, merisiers (bétula aleghensis) et bouleau, il fallait faire des rafts (des radeaux). Ils étaient faits avec des troncs d’épinettes d’au moins 20 pieds de long, attachés ensemble sur une largeur d’au moins 10 pieds. La raison de ces radeaux est qui le bois franc flotte très mal et parfois même coule. On cordait donc ces billots en travers sur les rafts sur une épaisseur d’au moins trois rangs. Ces billots pouvaient avoir plus de deux pieds de diamètre. Seule apparaissait au dessus de l’eau la moitié de la dernière rangée. Ces radeaux étaient attachés les uns aux autres par groupe de 10 ou plus. Puis on les tirait à l’aide d’une chaloupe motorisée. Les moteurs étaient très petits à l’époque. La coupe de bois franc se faisait surtout au pied de la montagne Noire, sur les terres des Regimbald. Les billots coupés dans le bois étaient transportés sur des traineaux tirés par des chevaux jusqu’au bord du lac près de la maison des Regimbald.

On pouvait prendre jusqu’à trois jours pour trainer ce train de radeaux sur le lac jusqu’aux moulins à bois qui se trouvaient dans ce qu’on appelle la baie des Pionniers où il y avait deux scieries, l’une appartenant à la famille Lachapelle et l’autre à Jos Issa. Le moulin Lachapelle appartenait auparavant à M. Raymond et celui de Jos Issa appartenait à M. Charbonneau. Ce voyage de radeaux allaient si lentement que lorsqu’on le voyait passer devant notre chalet, on avait le temps de sauter à l’eau et nager jusqu’aux radeaux et de monter dessus.

Après la guerre, à la fin des années 40 sont apparus, à Saint-Donat, les Bulldozers, ce qui a complètement changé le mode de transport du bois. Avec cette grosse machinerie c’était facile de faire des chemins de bois où les camions pouvaient circuler. Il s’en est fait partout dans le parc du Mont Tremblant et dans la vallée de la rivière Saint Michel. On ne faisait plus flotter le bois sur le lac, le transport par camion étant tellement plus rapide, ce qui se faisait que l’hiver. Ce qui a été la mort des scieries de Saint-Donat car on pouvait transporter le bois aux grandes scieries situées plus près de Montréal.

Avec l’arrivée des bulldozers il y a eu un certain Rosaire Villeneuve qui était venu jobber à Saint-Donat. Il se vantait faire ouvrir un chemin dans le bois par un gros bulldozer de 20 tonnes suivi de deux bulldozers plus petits pour écarter les troncs, les souches et les grosses roches de chaque coté et derrière suivait un autre bulldozer qui nivelait le chemin. Lui, Rosaire, le jobbeux suivait le cortège avec sa Cadillac à 2 miles à l’heure. Avec le camionnage il y a eut quand même un drame. Comme il n’y avait pas de route qui joignait les exploitations forestières de la vallée de la rivière Michel au réseau routier provincial, on devait passer sur le lac pour se rendre au village, ce qui est tout de même assez long. Un hiver, la famille Issa nous a demandé d’emprunter notre chemin pour se rendre sur le chemin Neu, c’était le nom qu’on donnait, au début, au chemin Hector Bilodeau. Ça raccourcissait de moitié le trajet sur le lac. Or une fois la glace a cassé et le camionneur qui était Victor Charbonneau s’est noyé. L’accident est survenu en face de notre chalet assez près du bord. C’était une journée très froide et la glace se rétrécie au froid provoquant de longue fissure. Est-ce la raison de la fracture de la glace ? Il y a peut-être un autre facteur : sous un gros poids il se produit sous la glace une onde qui voyage à une certaine vitesse. Si le camion voyage à la même vitesse cette onde ou vague va en grossissant au point de faire casser la glace. Ce malheureux accident a laissé une veuve avec de jeunes enfants. Victor était un fils de Pierre dit Pit Charbonneau qui possédait un magasin général au village où se trouve actuellement la pharmacie Proxim.

Écrit en novembre 2021.