Cet automne, on revoit en reprise la télésérie les filles de Caleb.Plusieurs scènes nous montrent le quotidien des enfants qui jouent et gambadent dans la cour, ou à la maison habillée de façon très modeste comme il convient aux jeunes campagnards.
Vous êtes-vous déjà posé la question pourquoi les très jeunes enfants, c’est-à-dire jusque vers l’âge de 3 ou 4 ans, semblent tous habillés de la même manière ? Ils portent tous une “ robe ”, plutôt une grande jaquette ou bien une grande chemise. On ne peut alors distinguer les petits garçons des petites filles, sauf peut-être pour la coiffure.
Louise Gagnon, dans son livre sur L’apparition des modes enfantines au Québec (IQRC : 1992), apporte quelques éléments de réponses sur ce sujet et bien d’autres. C’est en feuilletant un album du 19e siècle que l’auteure remarque que les jeunes garçons sont habillés aux allures féminines. Pour ma part, j’en faisais la découverte en regardant d’anciennes photos sur “ zinc ” ou, comme on le disait en ce temps-là, sur métal. Le livre de Mme Gagnon, fort intéressant et bien documenté, explique à partir de témoignages recueillis, d’inventaires après décès et surtout de sources iconographiques, les normes vestimentaires au Québec au 19e siècle. Parmi les sujets explorés dans ce livre, celui de la féminisation de l’habillement chez les très jeunes garçons a attiré particulièrement mon attention.
Faisons un retour en arrière. Selon l’historien européen Philippe Ariès, au Moyen-âge, les enfants et les adultes, de toutes conditions sociales, portaient des costumes identiques. D’après la littérature sur ce sujet, l’apparition de vêtements distinctifs pour les enfants européens est interprétée par les uns comme le signe d’une reconnaissance sociale de la particularité de l’enfance. Pour les autres, ces costumes résulteraient d’un mouvement vestimentaire influencé par les enseignements du philosophe Jean-Jacques Rousseau qui mettait de l’avant, entre autres, les bienfaits du froid pour la santé de l’enfant en dénudant des parties de son corps, et favorisant la liberté de mouvement dans le costume. Disont que ces pratiques vestimentaires s’instaurent d’abord dans les familles bien nanties et influenceront par la suite les comportements chez les autres couches de la société. Au Québec, ce n’est pas avant la fin du 18e siècle qu’apparaissent, de façon évidente, les distinctions vestimentaires entre les enfants et les adultes. Voyons l’explication que l’on donne sur la féminisation des garçons au cours de la petite enfance brugeoise. À cet âge, garçons et filles occupent le même rôle au sein de la famille, c’est-à-dire un rôle improductif sur le plan travail. Dans cette perspective, le garçon adopte une allure féminine, par le port de la “ robe ” parce qu’il partage temporairement le rôle social de la femme qui, en ce temps-là, est exclue du travail relié à la survie de la famille. Aussi le port de la robe chez les garçons allait-il jusqu’à l’âge de 5 ans environ.
Dans les villages de colonisation, comme Saint-Donat et plusieurs autres où tous les bras comptent pour venir en aide à la survie de la famille, le port de la “ robe ” ou de la jaquette n’a pas les mêmes attributions. Si l’on tient compte du travail difficile de la femme à la maison, entourée le plus souvent d’une bonne marmaille, ce type de vêtement facilite grandement le soin aux enfants, non seulement pour l’économie qu’on y fait en ayant le même type de vêtement, mais aussi pour l’hygiène de l’enfant. Une économie de temps pour changer les enfants et une facilité pour ces derniers d’aller au petit coin !. La durée que pouvait prendre le port de la robe se terminait avec la propreté de l’enfant. Là-dessus, je vous invite à interroger vos mères et vos grands-mères à propos de cette coutume, et à leur demander si les motifs que j’ai évoqués pour le port de la robe existaient bel et bien. Vous pouvez m’en faire part à l’adresse suivante : 442 rue Nadon, c.p. 981, Saint-Donat, Qc, J0T 2C0.
Source : Gagnon Louise. L’Apparition des modes enfantines au Québec. Institut québécois de recherche sur la culture, collection Edmond-de-Nevers, no.11, Québec, 1992, 230 pages.
Photo-vignette : Une famille de Saint-Donat au début du siècle. Combien de garçons, y compris les adultes, comptez-vous sur cette photo ?
La réponse le mois prochain avec les noms de chacun.
Source : Claude Lambert, anthropologue-historien, Journal Altitude 1350. Octobre 1994