De Habsheim à Saint-Donat – Portrait d’une famille exceptionnelle
Pour faire suite à l’article du mois dernier (Carte de vœux) qui abordait la notion de culture, d’appartenance, j’ai choisi de vous faire rencontrer le chef Philippe Missland et son épouse Myriam, propriétaires du Clos des Délices. Je sais que, comme moi, vous fréquentez avec bonheur cet établissement mais allons sur la pointe des pieds dans leur intimité par ce beau mois de février.
Philippe et Myriam viennent d’une petite ville, Habsheim, située près de Mulhouse en Alsace. Ils ont commencé leur apprentissage de la restauration dès l’âge de 16 ans. En fait, Philippe a fini son cours secondaire à l’école culinaire, le faisant actuellement fort de 30 années en gastronomie alors que Myriam s’est vue confier des responsabilités dans divers établissements tant en Europe qu’au Québec.
Leur histoire est extrêmement touchante. Une cousine de la mère de Myriam, Denise, avait choisi de venir s’installer au Québec, à Beloeil. Rencontre après rencontre alors qu’elle revenait au pays, elle vantait le Québec. Philippe y était sans doute sensible mais beaucoup moins que Myriam cette merveille de femme rêveuse, aventurière, extrêmement forte et décidée. Une chose en entraînant une autre, ils sont venus passer une semaine de vacances pour visiter Denise et son Québec, sac à dos et tout et tout. Ils ont été conquis. Alors dès son retour en Alsace, Myriam a décidé d’initier leur futur parcours en se renseignant et en s’inscrivant à des forums à l’insu de Philippe. Eh oui ! Jusqu’à ce qu’arrive le moment de remplir les papiers officiels qui requéraient une visite médicale et une attestation d’un médecin dûment désigné de notre gouvernement. Aller et retour, c’était 6 heures de route depuis la maison. Impossible de cacher à Philippe cette démarche alors qu’on a 3 enfants à la maison qui attendent maman… Ensuite tout s’est enchaîné et les voilà à louer, via la France, un chalet à Saint-Faustin pour un mois question de choisir l’endroit où la famille s’établirait et d’étudier les possibilités d’emploi. Pourquoi avoir choisi Saint-Faustin ? Parce qu’un ami leur avait dit que tout se passait entre Saint-Sauveur et Tremblant. Ils arrivent ici le 31 mai 2005, ne connaissant aucun de nos codes, aucun de nos services (épiceries, centres de santé, hôpitaux, magasins de fournitures diverses). Ils ont eu la vie très dure. Myriam m’a demandé d’être discrète quant à leurs aventures tant à Sainte-Agathe-des-Monts qu’à Val-Morin mais ce qu’elle m’a raconté m’attache à cette famille à tout jamais. Depuis qu’ils ont ouvert le Clos des Délices d’ailleurs, plusieurs clients sont devenus des amis très chers prêts à s’impliquer dans les circonstances les plus inusitées comme cet homme d’affaires qui, pendant notre festival d’automne alors que le resto était complet, s’est retroussé les manches, a quitté la salle à manger et s’est mis à laver la vaisselle à l’eau froide car il n’y avait plus d’eau chaude, le réservoir de l’ancienne crêperie étant non seulement désuet mais inutilisable.
Nous sommes à une époque où il y a un clivage entre le merveilleux et le tout à fait accessible en cuisine. Philippe Missland se tient très bien sur la fine ligne entre les deux grâce à une heureux mélange de talent, d’une solide formation, de disponibilité et de dévouement. Et puis Myriam a toujours été ouverte et curieuse d’apprendre sur la vie, les bonheurs et les épreuves des gens. Or il faut toucher les gens pour susciter l’intérêt et l’attachement envers un restaurant et ses propositions. Leur famille est non seulement présente mais aussi très précieuse et Myriam n’hésite pas à répondre aux questions les plus sensibles les concernant. Audrey, Chloé, Adrian sont très beaux et très droits physiquement et moralement. C’était touchant de les voir tous se dévouer au réveillon du Jour de l’An. Audrey nous a chuchoté : « Voilà. C’est la seule façon de passer le Premier de l’An tous ensemble » ajoutant que son conjoint et son petit Noa les rejoindraient plus tard. L’attitude des enfants de Philippe et Myriam, leur façon de servir, combine à la fois efficacité, sourire, patience, connaissance de l’art de la table et réserve prudente.
L’auteur Joël Dicker dit : « Il y a des plantes qui projettent leurs racines dans les airs, ça ne prend pas. Puis à un moment donné, une racine plus forte ou plus rebelle arrive à toucher le sol et, soudainement toutes les autres racines s’enfoncent dans la terre ». Cette racine, c’est Myriam qui se sait bénie des dieux. Philippe et elle m’ont reçue un samedi après que tout le linge de table ait été repassé. La vaisselle brillait, cette vaisselle qui vient de chez eux, d’Alsace. Tout en veillant aux fourneaux, Philippe venait ponctuellement voir où en était l’interview et chaque fois il posait tendrement la main sur l’épaule de sa conjointe. Chloé vérifiait le vin en écoutant et protégeant sa maman mine de rien. C’était un doux bonheur. Je vous laisse donc sur ces mots et ces odeurs : potée alsacienne, jambonneau, coq au riesling, crêpes, tartes flambées , kougelouf glacé …
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse