Drôle de printemps
Je fais partie de l’équipe de la société historique de la municipalité de Saint-Donat. Au début, je me posais vraiment des questions sur la pertinence de ma présence hors le fait que j’écris depuis 2002 dans le Journal Altitude 1350 et que j’ai une prédilection pour les sujets qui rendent hommage à nos gens, à nos artistes, à notre sol. Mais maintenant, à écouter parler les membres de cette équipe de leur jeunesse, de leur patrimoine et de leur inestimable connaissance du milieu physique, je suis fière et émue d’apprendre d’eux et d’ainsi réapprendre sur « mes avoirs à moi ». J’ai trois petites-filles et il y a 11 ans de différence entre Zoé, 15 ans et Misha, 4 ans. Quand Misha me parle de sa mère, elle dit souvent « ma maman à moi » comme pour être certaine que les bras de sa maman s’étirent jusqu’à si loin. Eh bien, faire partie de ce comité me fait moi aussi me pencher vers des souvenirs et je remercie ce comité de me faire un tel cadeau. Les souvenirs ne se traduisent pas par une ligne droite. Ce sont des pointillés qu’on perd puis qu’on retrouve.
C’est ainsi que le confinement m’a rappelé un souvenir d’enfance apparenté à un enfermement. J’ai commencé l’école très tôt, à 4 ans, alors qu’à mon époque on entrait en première année à 6 ans avant le 1er décembre. Je suis née en mars. Je n’avais pas de difficulté à apprendre à lire et à écrire, j’ai même eu la médaille de l’excellence à la fin de l’année, pourtant pour mes enseignantes j’étais ‘tannante’, trop vivante. En ce temps-là, il était assez courant de voir dessiné sur le grand tableau noir l’itinéraire de l’enfant modèle avançant avec son petit sac d’école parmi de beaux nuages joufflus éclairés par le soleil. Sous ce tableau la maîtresse s’était beaucoup investie pour installer tout un système de cordelettes reliant le ciel (en haut) et l’enfer (en bas) où sautillaient de petites flammes rouges et noires. Sur chaque cordelette on pouvait faire glisser la photo d’une élève de la classe ; il n’y avait pas de petits garçons où j’allais. Si on n’était pas sage, notre photo glissait plus ou moins bas. Si on était tannante, on trempait dans l’enfer et on était très très malheureuse. Imaginez-vous qu’un jour j’ai trempé dans les flammes durant toutes les vacances de Pâques parce que la maîtresse avait oublié de me remonter à la fin du dernier après-midi. À l’époque les vacances religieuses du congé pascal étaient longues et j’ai vraiment souffert ! Vous savez, j’ai toujours adoré l’école mais aujourd’hui encore je suis extrêmement sensible aux punitions qu’on donne aux enfants tannants, occupants. J’ai beaucoup écrit sur cette question et je continuerai de le faire.
Changement de sujet. J’ai aperçu un matin de début avril un gros corbeau noir qui tournait plutôt près de moi. J’ai très peur des corbeaux et j’éprouve aussi de la répulsion à leur égard. Les anciens disaient qu’ils annoncent toujours un décès dans une famille ou, à tout le moins un malheur. Dans les zones côtières de la Bretagne, les gens utilisaient les vertus divinatoires attribuées aux corbeaux pour retrouver les noyés. Il suffisait de placer l’oiseau dans une barque et il se mettait à croasser à l’approche du corps. Je sais cependant que le corbeau est très intelligent et qu’il peut communiquer avec l’humain. J’ai une belle photo de mon ami le docteur Pierre Bertrand que tout le monde connaît en train d’échanger avec un beau spécimen apprivoisé sur la plage de Saint-Fulgence au Saguenay.
Toujours est-il que mon corbeau s’est tout à coup intéressé à une corde de lieuse (comme disait ma grand-mère) bien nouée et enchevêtrée à une branche du lilas placé juste devant la fenêtre où je lis. Il tirait, tirait, tirait sur l’extrémité de la corde qui s’émoussait peu à peu. Vous dire à quel point il s’acharnait à décrocher cette corde-là…Le matin vers 10 heures et l’après-midi vers 16 heures, sans relâche, chaque jour. Je ne sais pas pourquoi mais je me sentais concernée. Je ne pouvais plus m’empêcher de le voir travailler. Un matin j’ai trouvé dans la maison une corde d’à peu près la même texture que la sienne et je me suis mise à en effilocher de grands bouts pour mon corbeau. C’était difficile car la corde était tissée étroitement et très piquante. J’en ai fait un beau paquet bien invitant et je l’ai posé sur un petit amas de neige au pied du lilas pour qu’il le voit facilement tout en lui disant : « Regarde, regarde » même si j’avais peur qu’il vienne m’attaquer. Il ne s’en est pas occupé pendant 1, 2, 3 jours puis, un matin, la corde avait disparu. Peut-être que ce n’est pas lui qui l’a prise mais moi j’ai été soulagée d’avoir pu l’aider. Sans le confinement, je n’aurais jamais vécu cela, non ? Je n’aimerai jamais les oiseaux noirs même s’ils ont de belles couleurs moirées ici et là mais ce n’est pas une raison pour ne pas apporter son soutien. J’ai lu dans le magazine Québec Oiseaux de l’été 2020 que près de 95% des espèces d’oiseaux sont monogames, contrairement à 5% des espèces de mammifères. Si mon corbeau revient essayer d’effilocher les restants de corde qui pendillent encore de mon lilas pour se faire un nouveau nid, je ne l’aiderai pas, c’est promis. Il est des désirs de début de printemps qui ne sont plus recevables à la fin de juin…
Je reviens le mois prochain mêler des petits bouts de ma vie à celle des gens de Saint-Donat que je veux vous faire mieux connaître ou connaître différemment.
Nicole Lajeunesse