La maladie
Youssouf était épuisé, brulé à l’ouvrage, au bout de sa corde, trop d’irritants, de déceptions, un travail trop dur, il n’avait pas la corpulence de nos bucherons, petit homme, pas grand, pas gros et même on pourrait dire maigre, mais malgré son bon vouloir, pas fait pour les gros travaux, comme la plupart des hommes de bois d’ici, épuisé dans son corps et dans son être. Il a flanché, a peine capable de se rendre aux bâtiments extérieurs, Denise notre grand-maman s’en occupait, son homme avait tout donné, pour elle et sa famille. Il a dû tout apprendre, il ne savait pas travailler de ses mains, pas appris dans sa jeunesse ce genre de travail, nous avons tous des guides, qui nous façonnent et personnifiés par nos parents. Si l’on prend le temps de décortiquer ce que les anciens faisaient dans leur journée, nous penserons à toutes les étapes des travaux du jour, comme si simplement, aiguisé une hache jusqu’à construire une maison, en passant par les bêtes, les cultures, la forêt, les bassins d’eau, la neige, les bibittes, la pêche, la chasse au bœuf jaune (l’orignal), et faire vivre sa famille.
En plus, il était allergique, asthme, intolérant aux animaux, aux plumes, aux poules. La belle affaire, nous nous retrouvons aujourd’hui, dans la famille, avec des sujets ainsi attifés. La génétique, bien oui… Il toussait, crachait, avec beaucoup de difficulté à respirer.
Vous comprendrez sûrement que Joseph (Jos) son fils, a dû prendre la relève, de ce que son père Youssouf avait commencé à bâtir, avec autant d’ardeur que ce dernier, il n’avait que 19 ans et devait compter que sur ses jeunes frères, le petit dernier n’avait qu’un an, Donat son bras droit avait 17 ans, pour l’aider, Joseph étant le plus vieux, l’ainé, que de responsabilités, il a pris à la charge 11 personnes, soit ses parents, lui et ses 8 frères et sa sœur, mais lui aussi, était de caractère très fort. Avait-il le choix, non, il était de la relève d’avant, car aujourd’hui l’état et le mot n’existe plus, avons-nous encore le plaisir de compter sur nos descendants ?
Youssouf a été malade tout le reste de sa vie. Triste sort pour lui et sa famille.
Les tornades
Quand dans la dernière chronique, je vous ai parlé du déchaînement des éléments, Joseph (fils), mon père a dû, encore une fois, vivre avec la présence de deux tornades, au environ de 1925. Peut-être que parmi les plus vieux du village, certains se rappelleront de ces événements. Joseph et son frère Donat, étaient en train de faire de la terre neuve, beaucoup de personnes doivent connaître le terme, sur la terre de Youssouf, il y avait que des arbres, la belle forêt vierge. Nos deux travaillants bûchaient, du matin au soir, sans se lasser, ni se plaindre. Il fallait défricher le plus possible, pour se garantir un lopin de terre productive, pour permettre à la famille de se nourrir. Comme Youssouf était malade, les deux plus vieux, attaquaient l’ouvrage de front.
Au loin, une formation de tourbillons, se concrétisait, nous deux jeunes hommes étaient-ils aux questionnements ? Pas vraiment le temps, pour l’analyse, le tourbillon approchait si vite, leur instinct de survie, leur a dicté de se cacher derrière une souche, provenant de l’arbre fraichement coupé. Le temps s’arrête-t-il, ou que tout s’accélère avec les tourbillons ? Il n’y avait pas de place aux hésitations, cherches… trouves … mais, grouilles…, le temps compte, même, qu’il n’y a pas de temps, pas de temps à perdre, car il n’y en avait plus de temps. Je n’ai jamais vécu cette situation, mais je n’ai pas vraiment le goût, de me retrouver dans le tourbillon de l’incertitude.
Cette tornade avait levé une chaloupe, selon la rumeur dite, mais avec un pêcheur dedans, est-ce vrai ou enjolivé par les compteurs, comme mon père Joseph, un pince sans rire, et les bâtiments, soit deux cabanes, attenants à la maison, furent débâtis dans le lac, des fois, il était impossible de discerner le réel et l’imaginaire avec mon père, il savait raconter et capter notre attention. Un sourire en coin, voulait-il dire, que c’était vrai, ou pas, à cause de notre ébahissement, il a dû penser, là, je viens de vous en conter une bonne. Nous avons été témoin d’autres tornades au village, et j’affirme qu’elles étaient de vraies bonnes et effrayantes tornades.
Si ces deux tornades avaient eu lieu au village, au lieu des abords de la Rivière Michel, très peu de maison aurait résisté, à leurs passages, elles avaient fait un passage d’une largeur bien définie, un corridor bien structuré, en apportant tout au passage, comme les arbres, les bâtiments, etc. Le village y aurait passé, un gros merci à la providence, d’avoir protégé la population du village, qui était plus significative, qu’à la Rivière Michel.
Les cultures :
Pour la survie, il devait trouver un produit miracle, une céréale ou autre chose, pour faire à manger, la culture est difficile pour Saint-Donat, pour contrer au froid, à la saison estival si courte, au sol si pauvre, que du sable et des roches. N’oubliez pas Youssouf habitait aux abords de la rivière Michel, il croit avoir trouvé ce qu’il fallait, le sarrasin. C’est une céréale très rustique aussi appelé blé noir, ceci est la définition du Petit Larousse, mais encore, j’ai fait des recherches sur internet, et j’ai trouvé d’autres arguments, très convaincants, pleine de bon sens, ce qui rejoint aussi la décision de Youssouf à choisir ce produit, qui tolère le froid, une semaine ou deux avant l’été et la même chose à l’automne. Voilà déjà trois à quatre belles semaines de gagner.
Malgré son appellation de "blé noir", le sarrasin n’est en rien une céréale assimilable au blé. Exempt de tout gluten, le sarrasin se consomme en grains ou en farine selon les recettes. Dans une étude comparant la composition du sarrasin à celle de quatre céréales (soit le blé, l’avoine, l’orge et le seigle), le grain de sarrasin entier se situait au premier rang quant à sa capacité antioxydant et remplis de fibres.
L’emplacement de sa culture fût aux abords de la rivière côté sud, donc très spécifiquement sur mon terrain, aujourd’hui sur le chemin Solange. Lorsque j’ai pris possession de mon terrain, il y avait encore les quatre poutres, qui servaient à soutenir la petite grange. Je m’amusais à marcher autour de pieux, pour bien sentir la présence de ma famille, vous ne pensez pas, j’ai foulé le même sol qu’eux.
Tout le monde s’arrache la vedette, en se pétants les bretelles, pour affirmer être les premiers à avoir inventé la galette de sarrasin ou la poutine, mais j’ai trouvé un article nous devançant tous, car voici l’origine de la galette, est-ce encore, le petit sourire en coin de mon père, dis-moi pas que du ciel, il me fait encore des risettes. Voilà ce que j’ai trouvé : la galette de blé noir ne peut être réussie sans l’intervention du « chef cuisinier » qui n’est autre que la Duchesse Anne de Bretagne, au début du XVIe siècle. Persuadée des atouts de la « plante des cents jours » (le sarrasin pousse rapidement), elle sème les graines de cette céréale à tout vent, aux quatre coins de son duché. C’est depuis ce temps-là que la galette de blé noir devient une spécialité bretonne. Nous n’avons plus qu’à rajouter des œufs, du sel, de l’eau et du lait. La pâte à galette est prête. Vous pouvez l’agrémenter de ce que vous souhaitez (œuf, jambon, …). Régalez-vous !
Solange Issa, née Issa, Source Journal Altitude 1350, novembre 2016