Les Joyeux Lurons
Ce mois-ci, je vous offre une chronique bien spéciale, une sorte d’acte de foi en la société,en votre municipalité de Saint-Donat qui est construite grâce à qui ou grâce à quoi, je ne sais pas, sur l’idée que nous avons tous des intérêts différents, mais que pour ne pas nous nuire mutuellement et collectivement il nous faut accepter les différences. Non, je ne vis pas dans un autre monde. Je crois sincèrement qu’ici, on a compris qu’un comportement altruiste, ou du moins modérément altruiste, est la meilleure façon de fonctionner. Je sais qu’il y a des jeunes et des adultes que ces considérations ne touchent pas, mais permettez-moi de parler de ma maison et non pas de ceux qui risquent d’y mettre le feu.
Je commence par Steve Léveillé, aussi appelé « Joe Cannette ». C’est l’écologiste le plus aguerri de Saint-Donat. Depuis des années, il se promène avec un « gréement » qui doit peser plusieurs centaines de livres pour ramasser les canettes et les bouteilles vides. Son vélo d’abord, puis la remorque où il place ses trouvailles, une radio qui s’autosuffit grâce à une grosse batterie (booster pack), une petite glacière et un poêle propane qui lui permettent de se faire de bons repas santé quand il est sur la route. Quoi ? Eh oui, Steve s’est rendu compte que son menu contenait trop de gras, trop de sucre, alors depuis deux ans, il prépare lui-même son repas de mi-journée. Il a beaucoup de travail hiver comme été, il prend donc soin de lui.
Des bouteilles, des cannettes, il y en a partout. Alors sous le vent, la pluie battante, la neige ou le gros soleil, le jour et parfois la nuit, il descend et remonte sur son gros vélo. Il n’en rate pas une. Heureusement il y a ses parents, des gens formidables, aidants, aimants, qui l’aident l’hiver et qui lui ont laissé tout le sous-sol d’où il dirige sa petite entreprise. Sur les étagères, tout est classé et tout est impeccable : « Avant, il y a du monde qui disait : “Vas-tu arrêter, t’es bien trop intelligent pour faire ça”, et ils jetaient leurs cannettes à terre. Maintenant, ils me les donnent dans les mains. J’ai environ 115 clients, sans compter les élèves de l’école, des maisons privées, sept roulottes au camping Russell. Savez-vous qu’une petite cannette de jus de tomate vaut 5 cents ? Et puis il y a les tirettes d’aluminium… Rémi Lafleur sait où les donner pour aider les gens ». Steve, c’est un homme très fier, très responsable, un aidant naturel qui sait parfaitement qu’il joue un rôle dans la société, un rôle physique, réel et un rôle écologique, social. Il a un mandat, quoi. Il faut le voir amener son ami Thierry dans le bois en motoneige. Oh ! pas dans un sentier fréquenté, plutôt dans son chemin juste à lui. Finalement il m’a parlé de sa mobylette, son magnifique nouveau véhicule utilitaire mais une fois, j’ai vu son regard se brouiller. Il m’avoue qu’il y a des jeunes qui, au moment de lui tendre leurs bouteilles, les fracassent sur l’asphalte juste à ses pieds, comme ça, pour s’amuser. Ça m’a chavirée. Steve est un être si bon, si préoccupé par certaines valeurs, si renseigné. Il est au service de notre collectivité et tire toute sa satisfaction de ce dévouement à la chose collective. Bravo et merci mon grand, de notre part à tous.
Maintenant, notre « papillon bleu », Thierry Cardinal. La force de Thierry, c’est de répandre la bonne humeur. Il ne communique pas d’idées mais un état d’être, c’est un poème, un être que sa maman et son papa ont cueilli directement de la beauté. Chaque jour, attaché par un fil invisible à Gilbert, il prend sa marche : le parc des Pionniers et le vieux gazébo où on parle aux poissons. « Est-ce que vous vous nourrissez bien ? Faites-vous assez d’exercice ? Vous pratiquez-vous à nager ? Vous savez qu’on va sur le ponton de Michel pour vous pêcher, alors on vous avertit ». La boulangerie où on les sert si bien et le Foyer Le Cardinal ensuite. Gilbert, son père, me dit : « Je commence ma marche avec toutes sortes de préoccupations, de problèmes. Je finis ma marche, je n’ai plus aucun problème. Pour Thierry, l’anxiété liée à des préoccupations abstraites n’existe pas ; un problème, c’est une construction de l’esprit et si ça se construit, ça peut se déconstruire. J’ai juste à la défaire. Ce qui lui fait de la peine, le vrai vrai vrai problème, c’est de croiser quelqu’un sur le trottoir qui ne vous dit pas Bonjour. Ça, tu ne peux pas le défaire. Le moment est passé ».
Thierry adore les couleurs, la peinture donc et la musique. Il suit des cours de chant avec Jean-Marc Perron d’ailleurs. C’est formidable de voir que s’il a de la difficulté à parler, il n’en a aucune à chanter. Le rythme le fait prononcer, soutient la verbalisation. Son nom, son adresse, ses références, il les a apprises en chantant. Il a aussi une grande amie, Julie, son éducatrice. Ils se voient à leurs rythmes respectifs, se promènent en forêt avec le chien de Julie, donnant un caractère passionné, vif, animé à toutes leurs rencontres. Merci Thierry, du fond du cœur.
À suivre
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse
Les Joyeux Lurons à l’entrée du sentier du Cap de la Fée.
Photo : Jacques Cotnoir