Monsieur Pierre Bertrand
Deuxième partie de trois
Il me semble difficile de trouver une meilleure entrée en matière que de s’attarder à cette photo de Pierre au piano. Il jouait si bien qu’on aurait dit qu’il jouait non pas les lignes mais entre les lignes. C’est qu’il porte en lui une mémoire qui permet de reconnaître et de reproduire toutes ses expériences et ses émotions antérieures dont celles reliées à ses passions et à ses études.
Débutons par ses études. Pierre a commencé l’école chez les Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie puis après une année, il est allé à l’école Querbes. Au même moment le Collège Stanislas était fondé alors son père Charles, dont nous avons beaucoup parlé dans l’article précédent, l’y a fait entrer. Il n’avait que 8 ans mais ses études ont toujours été faites dans l’enthousiasme et l’harmonie de sorte qu’à 17 ans il entre à l’Université de Montréal en médecine où il côtoiera un certain monsieur Jean Coutu.
À l’époque, on faisait d’abord médecine générale puis on continuait, si les notes et les circonstances le permettaient, en chirurgie ou en médecine non-chirurgicale. Qu’est-ce à dire ? Le cursus séparait la médecine interne « où on ouvrait » c’est-à-dire les chirurgies cardiaques, abdominales, orthopédiques entre autres et la médecine générale « où on n’ouvrait pas » : pneumologie, néphrologie, gastro-entérologie, oto-rhino-laryngologie ou ophtalmologie. Pierre Bertrand est devenu à la fois généraliste et interniste avec un solide diplôme en pneumologie en étudiant même au-delà des exigences requises. D’abord il a fait deux ans à l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal comme interne senior puis il a poursuivi ses études en Angleterre, à la Post Graduate Medical School of London en cardiologie et en neurologie. Suivront encore deux années en pneumologie aux Etats-Unis, à Philadelphie, alors qu’il devait n’en faire qu’une, passionné qu’il était par la broncoscopie et l’endoscopie pulmonaire, spécialisation bronchique.
J’ai adoré l’entendre parler de ses expériences de travail. Son premier poste était au Royal Chest Hospital aujourd’hui appelé l’Institut Thoracique de Montréal. Il y restera 16 ans. Il y allait le mardi matin pour soigner de gros cas de tuberculose (parfois avec lésions s’étendant à d’autres organes ou se généralisant) au salaire de « 5,00 $ par tuberculeux ». En même temps, il soignait sans salaire quarante patients dans deux salles à l’hôpital Saint-Luc tout en enseignant aux étudiants de 3ème année. « Si un patient était placé dans une chambre privée et qu’il avait des assurances, je pouvais envoyer un compte mais dans ces années-là les gens n’avaient pas d’argent ». J’oubliais d’ajouter que Pierre faisait en plus des visites à domicile et qu’il a travaillé pendant toute cette aventure à l’hôpital Sainte-Jeanne-d’Arc. Pierre était marié à une femme tout à fait remarquable Janine Marchand et avait déjà deux filles, Marie et Lucie, nées à Philadelphie où il ne s’est alors acheté qu’une Volkswagen pour son petit monde. Peu à peu, tranquillement, il a laissé tomber Saint-Luc et gardé Sainte-Jeanne-d’Arc où il a cumulé 36 ans de service jusqu’en 1996. C’était déjà presque’insensé comme responsabilités, me suis-je dit, jusqu’à ce qu’il ajoute que « les pneumologues étant rares à l’époque il faisait du service à l’occasion à l’hôpital Jean-Talon, à Fleury et à Sainte-Justine !
Il y avait aussi ce qu’on appelait au milieu du XXème siècle « les gouttes de lait » paroissiales. Elles étaient là, dans tous les quartiers de Montréal depuis 1915. On enseignait surtout aux mamans l’hygiène élémentaire et on donnait les vaccins. Je me rappelle de cette époque et j’ai été très touchée de voir revivre des pans entiers de mon histoire et faire des découvertes qui ont peu d’équivalence aujourd’hui. Pierre a eu une enfance privilégiée, oui, mais il a passé toutes ses années de pratique au sein des milieux populaires qu’il décrit d’une façon enveloppante, respectueuse, captivante.
C’est étrange à dire mais la médecine était loin d’être son seul intérêt. Pierre a aussi une passion pour la botanique, les arts visuels, le chant choral et le plein air, domaine dans lequel les gens de Saint-Donat le situent facilement. Tout cela est soutenu par la présence d’une conjointe que vous vous devez de mieux connaître. Alors, suivez-moi dans une troisième partie le mois prochain.
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse