Monsieur Pierre Bertrand
Troisième et dernière partie
J’ai terminé mon dernier article en énumérant les passions de Pierre alors je débute avec une de ses plus grandes, la botanique. Ses parents ont eu le mérite de l’inscrire, avec sa sœur Cécile, à un jardin d’enfants appelé l’École de l’Éveil dirigé par madame Marcelle Gauvreau, bibliothécaire de l’Institut botanique associé alors au Jardin botanique de Montréal. Madame Gauvreau oeuvrait avec le frère Marie-Victorin comme presque tout le monde le sait à présent grâce aux journaux et à la télévision. J’ai prêté une grande attention à ce qui s’est affirmé car Pierre m’avait parlé de ces deux êtres avant-gardistes et révolutionnaires avec, je dirais, de l’affection et une immense reconnaissance. Comme l’École de l’Éveil n’avait pas de local adéquat, madame Gauvreau louait, chaque samedi matin, une grande chambre à l’Hôtel Pensylvania (ou Pensylvanie) rue Saint-Denis en face de l’Université de Montréal qui était alors située où se trouve actuellement l’Université du Québec. Là, elle enseignait aux enfants les principes de base de la botanique et de la biologie. « Nous avions comme devoirs d’été de faire les plus beaux herbiers possibles. Dans ma classe, il y avait le cinéaste Claude Jutra qui était le neveu de Marcelle. Ensuite, le frère Marie-Victorin, né Conrad Kirouac, m’a fait connaître son ami Lionel Groulx de la faculté d’histoire de l’Université de Montréal. Ces deux hommes ont beaucoup contribué à notre formation. Je nous revoie, ma soeur et moi, couchés sur la grande pierre plate devant ce qui sera le terrain de Cécile au lac Archambault, scrutant le ciel, trouvant et nommant les constellations. Il faut spécifier que les frères venaient régulièrement à Saint-Donat, voir mon père ». J’ai écrit sur la présence de ces religieux dans la première partie de cette série, vous vous souvenez ? Toujours est-il que l’intérêt de Pierre pour les arbres et les plantes ne s’est jamais démenti, qu’il désigne volontiers leur nom en latin aux gens de plein air qui le côtoient. Au delà des polémiques qu’ils ont suscitées, les gens que Pierre a fréquentés étaient et resteront de grandes figures intellectuelles canadiennes-françaises de la première moitié du XXième siècle dont l’œuvre est gigantesque. Ils l’ont considérablement influencé sur tous les plans. Laissez-moi juste mentionner la relation « copain-copain » avec monsieur Henri-Bourassa, fondateur du Devoir et voisin des Bertrand, qui ébouriffait les cheveux du petit Pierre chaque fois qu’il le croisait.
Pierre et Cécile avaient aussi en commun un grand plaisir à dessiner et à peindre. J’ai déjà écrit deux articles sur Cécile mais c’est en fréquentant Pierre que je me suis rendue compte à quel point il aimait « la ligne, les beaux matériaux, le respect de la perspective ». Il aillait d’ailleurs reconduire sa sœur aux Beaux-Arts sur son « wizzard », une bicyclette sur laquelle il avait posé un petit moteur à essence. Sa mère détestait çà. Elle disait : « Qu’est ce que les gens vont penser ? Asseoir ta sœur sur la barre et dévaler la rue Saint-Urbain ! » Pierre répondait : « Mais c’est ma sœur ! » et sa mère rétorquait : « Ça, les gens ne le savent pas ». J’aimerais bien qu’il se remette à l’aquarelle…
Ai-je oublié quelque pan de sa vie ? Oui, le chant. Pierre a fait partie de bien des chorales après avoir appris le piano de monsieur Fernand Gratton, cousin de la comédienne Françoise Gratton. Chorale au collège Stanislas puis à l’Université de Montréal où a été fondée la chorale appelée Le chœur bleu et or qui porte toujours ce même nom. L’organiste était nul autre que Raymond Daveluy. Ensuite Pierre s’est engagé dans le chœur Pie X, au lac Supérieur. Cette paroisse de villégiateurs comptait bien des musiciens chevronnés dont Robert Villeneuve, Pierre Brabant et quelques membres des Disciples de Massenet. Je ne sais pas comment l’exprimer ici mais Pierre Bertrand créée une sorte d’esthétisme en se racontant. Quand il parle, on sent le registre, les tonalités, leur cohérence. Parfois il y a des silences, comme un espace non rempli. L’artifice est au minimum, la bonne histoire prend toute la place et attrape l’interlocuteur dans son colimaçon. Jamais, au grand jamais, est-il poseur ou hautain, seulement simple et naturel comme lorsqu’il était de la distribution de la comédie musicale de madame Louise Beaudry, Un oiseau de feu.
Ainsi me raconte-t-il qu’en 1943, à 13 ans, Jacques Parizeau et lui ont décidé de faire la piste de fond appelée Maple Leaf West Branch entre Sainte-Agathe et Shawbridge (Prévost). « On l’a fait en deux jours y compris les trajets en autobus. Parizeau était un ami de l’époque Stanislas… ». Pierre a fait de la voile, du ski de fond, du talon libre, du kayak de mer dans le Maine et au Saguenay, du kayak d’eau douce, du vélo et beaucoup de tennis sans compter de « la plongée bouteille ». Avec les membres de la première heure de ce qui sera le Club plein air de Saint-Donat, il vivra de belles aventures. Il me parle de Jacques Fournier, de Raynald Rheault, de Jacques Bouchard, d’Yves Lépine, de Luc Bonin, de Raymond Lahaie et de beaucoup d’autres qui, comme lui, « visaient toujours les tours pour la vue : la tour du mont Gaudet, celle du lac Ouareau, celle en haut du Grand Carcan (parc du Mont-Tremblant) ». Lui avait commencé le ski à six ans, il a initié ses cinq enfants au plein air dès qu’il a pu, ou que son épouse Janine le lui a permis !
Je termine en disant que Pierre a été très élégant et à l’écoute pendant toutes les heures de nos rencontres. Sa grande sensibilité et sa façon juste de raconter a même fait en sorte que nous nous sommes découvert ce que j’appellerais des parentés. Je ne mentionnerai que les vieux feuillets de sciences naturelles avec planches incomparables aux autres, écrits par madame Marcelle Gauvreau et qui m’ont longtemps servi pour enseigner « les sciences de la nature » à mes élèves de classe maternelle. Ils étaient jaunis, écornés mais je les protégeais jalousement. Oui il arrive que deux vies ont un point d’impact, puis un autre, puis un autre encore et ces chocs font jaillir de la lumière sur tel ou tel événement. Nous avons vécu cela et je dois avouer que c’est extrêmement réconfortant d’être compris.
Rectificatif : Pierre recevait 5,00$ par quart de travail et non par patient atteint de tuberculose tel que je l’ai écrit dans mon précédent article. Toutes mes excuses.
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse