Portrait d’un gentilhomme
Le ciel de Saint Donat avait du talent ce matin du 21 janvier où j’ai été reçue par monsieur Réal Raymond. Le but de ma chronique, vous le savez, est de faire connaître les créateurs d’ici et, le cas échéant, les visionnaires qui les aident. Je ne voulais pas parler du grand financier, Président et chef de la direction de la Banque Nationale de 2002 à 2007 comme je ne voulais pas réécrire certains textes parus à son sujet. D’ailleurs il ne me l’aurait pas permis. Mais encore imbibée de la musique du concert de Noël offert par madame et monsieur Raymond, je me suis dit qu’il fallait cependant lire sur le rapport entre la musique et les mathématiques, et bien préparer mes questions. Je vous fais grâce de mes lectures et vous avoue que j’ai fait tout cela pour rien, car la conversation a vite filé vers ce qui le passionne.
L’homme qui m’a ouvert la porte de sa maison était un bel homme, athlétique, à la poignée de main franche. Pendant un court instant, il y a eu quelques pas d’ « une valse à cinq temps » car Martin Lafortune, le photographe, et moi avions le très vif sentiment de vivre un moment très privilégié. Puis monsieur Raymond nous a fait entrer dans son bureau. Sa bibliothèque m’a frappée parce que ce n’était pas une vitrine, plutôt celle d’un homme vrai : de beaux albums d’art bien sûr, des ouvrages de référence mais aussi des romans, des livres tombés, couchés, utilisés quoi. Jouant avec les lattes d’un store pour que le soleil ne m’incommode pas, il s’est mis à me parler de sa famille. Savez vous qu’un certain Romain Phocas dit Raymond, vivant au sud de Bordeaux, est arrivé en Nouvelle France vers 1792 ? Pas n’importe où, oh non. Il s’est établi à Saint Denis de Kamouraska, sur les magnifiques terres qui nous font flancher quand on regarde la série télé Nos Etés. Il reste sept familles Raymond au Québec vivant sur leurs terres ancestrales. Si vous passez par là, cherchez la plaque honorant cet homme qui tenait une des extrémités du fil d’Ariane qui fait toujours suivre aux Raymond une rivière, fut elle la Garonne ou la Saint Michel.
Tout le monde à Saint Donat « connaît » l’arrière arrière grand-père Alphonse qui avait l’un des moulins à scie à proximité de l’actuel parc des Pionniers. Tout le monde parle avec une bouleversante affection de Jeanne-d’Arc, d’Orise, d’Aldéric et de la douce maman Marie de monsieur Raymond. Le lien d’appartenance, même s’il n’a pas toujours été constant, car le jeune Réal a dû partir étudier à St-Jérôme et à Québec, ne tient donc pas seulement à des événements occasionnels. Il éprouve ce que j’appellerais de la sollicitude à l’égard de sa communauté, des jeunes ou des gens qui ont à coeur notre environnement.
La sollicitude c’est, sur un fond d’inquiétude, pousser l’autre à agir de lui même, à se mettre en mouvement, à engager sa propre démarche. C’est avoir la préoccupation de sa propre part de responsabilité dans le destin des autres. C’est être touché, affecté par les autres. Je lui disais que l’an dernier, monsieur Louis Lavigueur, directeur de l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal, avait fait jouer aux musiciens une oeuvre bien déstabilisante de John Rutter. Il m’a répondu presque sévèrement : « Il faut faire l’éducation des jeunes, les pousser, les faire apprendre aussi devant les gens . Et ces gens, qui n’ont pas tous l’occasion de voir des orchestres de cette ampleur là, apprennent en retour que l’art n’est pas de l’ordre du surnaturel, que parfois un musicien voit une corde de son archet se détacher ou son lacet de bottine se dénouer. »
Généralement, les gens qui ont un intérêt pour la musique ont aussi un intérêt pour d’autres formes d’art. J’ai appris que monsieur Raymond entamera bientôt sa cinquième année à la présidence de la Fondation du Musée des beaux arts de Montréal. Son engagement est exemplaire et il est content de me préciser que ce musée accueille un demi million de visiteurs annuellement, dont 200 000 élèves qui peuvent ainsi participer à des ateliers de création. En février 2007, la direction du musée dévoilait son projet pour convertir l’église Erskine and American, située à quelques pas, en pavillon d’art canadien. La nef sera conservée telle quelle et servira à la promotion et à la diffusion de la musique ainsi qu’à la proposition d’activités éducatives et culturelles liées aux beaux arts. Grâce à la Fondation Ars Musica de Pierre Bourgie, au soutien des gouvernements fédéral et provincial et à de nombreux dons privés, ce temple, déjà beau à couper le souffle, sera inauguré en 2010. Imaginez l’architecture néo romane, les ornements, son ensemble de vitraux Tiffany considéré comme étant le plus grand au monde... C’est d’une telle beauté... Monsieur Raymond a dit sobrement « une façon de remettre à la société ce que tu as eu. »
C’est incroyable qu’après avoir fréquenté, enfant, les abords du lac Archambault à pied, à bicyclette, en flânant, en courant, il ait décidé d’avoir ici sa magnifique résidence permanente. C’est que pour lui, les souvenirs ne sont pas flous et ne vivent pas dans des albums aux pages craquantes parfois attachés avec de la ficelle. Ils sont avec lui dans un décor tout en courbes, avec l’escalier comme une portée de musique, les fleurs abondantes, les vitraux de Mireille Charbonneau, la table d’un autre artiste et un magnifique piano Pleyel 1925 dont je suis tombée amoureuse. J’en dirai peu, par respect et par affection car, je ne sais pas ce qui m’a prise, mais en quittant cet homme qui portait un beau chandail de cachemire rouge, je lui ai demandé si je pouvais l’embrasser. J’ai enseigné pendant plus de 30 ans. Comme les enfants, je sais, de façon certaine, quand une personne est bonne et nous veut du bien.
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse