Portrait d’une femme, Louise Beaudry
Je vais vous faire une confidence. À quelques jours de la date de tombée du Journal, j’ai téléphoné à monsieur Lafortune, à Jean, pour lui demander s’il pouvait réserver quatre pages pour parler de Louise, cet être de causes, cette visionnaire, cet être de lumière. Bien sûr, c’était impossible, alors je vais aller à l’essentiel, l’essentiel étant fait, pour certaines personnes, de petits détails.
Louise Beaudry a trois enfants : Geneviève, Marie Ève et Thierry et autant de petits enfants. C’est important pour elle de bien me les présenter. Arthur est un tendre déterminé, Thomas est dans l’effervescence avec une grande urgence de vivre, et Alice a déjà dans les yeux et le geste beaucoup de sa grand maman.
Notre premier rendez vous a eu lieu à sa maison. Petite brise, Alice barbotait dans l’eau... Le jardin est singulier, mystérieux, car chacune de ses composantes est née d’un besoin lié à une étape de la vie de Louise. Rien n’a été acheté. Porte d’entrée, sentier sinueux, roseraie, bac, fleurs qui chatouillent ( je n’ai vu aucune plante à tige rigide) et un pommetier, celui qu’a reçu Geneviève pour ses 3 ans. Ce jardin qui se fait encore est une sorte de matrice qui dit les valeurs de Louise et des personnes qui s’y sont impliquées. Je la cite : « Qualité de la personne, respect de mes rituels de passage, entente sur ce qu’est un besoin réel ». Dans cet espace se promènent trois belles poules ! Chocolat, cache cache et choco bleu, ont décidé les petits enfants. Jamais n’ai je vu une plus belle image du bonheur. Louise a bien essayé de mettre un ruban à la patte d’une des poules pour que chacune ait son nom à elle, mais le ruban disparaît vite et on ne sait jamais qui est qui. Reste qu’on était tellement bien à les voir aller et à entendre Gilbert, son amour et son mari, raconter les petits qui vont chercher chacun leur oeuf sous le ventre chaud quand ils sont en visite à Saint Donat.
Louise est née à Joliette dans une famille où la musique était très importante. Elle a très bien connu Roland Brunelle, aujourd’hui décédé, et le Père Lindsay. Violon alto, viole de gambe, violoncelle, contrebasse, piano, elle s’intéressait à tout. Si la discipline était importante, l’ouverture l’était encore plus, de sorte qu’elle m’a parlé d’un frère qui joue du violoncelle et d’une soeur, France, qui est seconde contrebassiste de l’orchestre symphonique de Baden Baden en Allemagne. Louise elle même a fait une place dans sa vie à ce langage.
Un jour, Thomas le fougueux lui a demandé ce qu’elle écrivait dans son drôle de cahier. Elle a expliqué : « Quand ça fait trop longtemps que je n’ai pas ouvert le cahier, je ne me sens pas bien. Il faut que je prenne soin de moi. Dans ma tête, j’entends des choses ou je vis une émotion, alors je les chante, je vérifie sur mon piano puis j’écris dans mon cahier de musique ». Je ne voudrais pas paraître ridicule, mais comme pour beaucoup de choses dont Louise s’entoure, il m’a semblé qu’il y avait là quelque chose de sacré.
Inutile de narrer par le détail la solide formation professionnelle de Louise Beaudry, mais résonnez tambours et trompettes, elle s’est installée à Saint Donat en juillet 74 de sorte que tous ses enfants sont nés ici. Quand Geneviève a eu 3 ans, elle a co-fondé les Loisirs des tout petits. Des parents y amenaient leurs poupons tandis qu’elle s’occupait d’abord seule des 3, 4, 5 ans. Plus tard, Lise Granger s’est jointe à elle. Ce centre permettait aux mamans d’avoir un répit, de sortir de l’isolement, d’échanger, de passer du temps de qualité ensemble. Pendant 10 ans, Louise a fait partie du conseil d’administration et a animé, puis il a fallu penser à son Thierry. Thierry a été un des premiers enfants a être intégré au système scolaire régulier alors qu’il présentait un handicap physique et intellectuel. Grâce à son intelligence, à sa ténacité, à la hiérarchie qu’elle impose dans ce qu’on appelle valeurs morales, grâce aussi à sa logique, à sa connaissance non seulement du dossier de son enfant mais de celui des autres enfants présentant une différence, au support de sa famille et à sa bonté, surtout à sa bonté, elle a fait un travail colossal. Au sein de l’Association québécoise des enfants présentant des troubles d’apprentissage (AQETA), elle a été multiplicatrice de savoirs et de stratégies pour défendre les droits des familles.
Tous les savoirs, toutes les expériences de vie sont transférables. Aujourd’hui, dans son école, Louise Beaudry défie les systèmes axés sur la normalisation. Pas un parent en besoin qui n’aura une écoute. Pas un enseignant non plus : « J’ai une équipe forte qui partage une grande intimité. Ce sont des gens d’une extraordinaire qualité, des gens engagés que je ne veux absolument pas perdre. Ils ont confiance, ils sont dans un élan, ça permet une joie profonde. »
Alors qu’elle vivait l’intégration de Thierry et avait une tâche partielle en arts à l’école, elle a fondé le très important Comité de musique dont nous parlerons dans un prochain article. Ainsi, au service de la municipalité et sous la responsabilité d’André Picard met elle en place un Service des loisirs culturels. Ce sera la création, en 1983, de la Corporation de la Maison de la Culture au prix de tout un travail et une organisation de vie. Avoir 50% d’une tâche à l’école et 50% d’une tâche à la municipalité, c’est travailler à 200% !
Peu à peu, elle est amenée à travailler « seulement » à la municipalité. Cette même année, c’est le premier Weekend des couleurs au Québec organisé avec la collaboration de la Chambre de commerce et de tourisme. En 1990, on construit la Maison de la Culture mais dès 1989, Louise Beaudry a activé un réseau Laurentides Lanaudière Laval, appelé Aventure T (pour théâtre) qui permettait l’achat de spectacles, la circulation d’artistes, des voyages pour amener les enfants de l’école dans de vraies grandes salles de spectacles. Le tout bien encadré, avec une préparation et un suivi pédagogique remarquables.
Enfin, Art Boréal se forme avec pour objectif la promotion des arts visuels à Saint- Donat. Siégeant au conseil d’administration, Louise est du lancement du livre « Saint Donat et sa région en peinture » et de l’exposition des 50 toiles sélectionnées : Cécile Bertrand Trudel, Pauline Simard, Madeleine Saint Amour, Guy Leduc, pour n’en nommer que quelques uns. Elle me parle longuement de toute l’aide et du respect entourant ses initiatives : « un patron respectueux qui te donne carte blanche », Charles Robidoux, Serge Villeneuve... En 1998, même si elle est de retour à l’enseignement, elle continuera à être responsable de projets. Au sein de l’Association canadienne des écoles de langue française, elle a amené une vingtaine de jeunes de secondaire I et Il en Alberta afin de promouvoir l’enseignement du français hors Québec, créant ainsi un beau va et vient plein de santé. Directrice adjointe au secondaire puis directrice des tout petits de la maternelle, du primaire et du secondaire depuis 2004, elle se décrit toujours simplement comme « celle qui essaie de penser pour que tu sois heureux à l’école ».
Vous vous rendez compte, 30 ans au service d’une municipalité, à notre service ? Chacune de ses initiatives pourrait faire l’objet d’un long article. Je ne sais pas si vous vous rappelez l’histoire qu’on raconte dans le film « Fried green tomatoes ». Un soir, une volée d’outardes s’est posée sur un lac. Elles s’y sont poursuivies puis se sont reposées, à l’abandon dans ce milieu tout en beauté. Le matin venu, elles sont reparties, mais quelle surprise, le lac était disparu ! Le gel avait figé l’eau à leurs pattes et les outardes l’avaient emmené avec elles.
Si Louise part un jour de Saint¬Donat, ne croyez vous pas que notre, village partira ainsi avec elle, soudé à ses pattes ? Merci infiniment Louise.
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse