Portrait de la dame aux oeufs
Presque tout le monde a été, un jour ou l’autre, fasciné par une belle collection d’œufs en marbre, en jade ou en pierres qui permettent la sculpture de petits objets d’art (améthyste calcédoine, lapis-lazuli et autres). J’ai, chez moi, le livre « René Lalique, Bijoux d’exception –1890-1912 ». Il n’est pas de broche, de pendentif, d’épingle, d’agrafe, de breloque, de peignes précieux où la forme de l’œuf n’apparaisse tantôt comme motif central, tantôt comme cadre complaisant. Et que dire de Fabergé, cet orfèvre et joaillier russe qui utilisait les pierres dures citées plus haut, et l’émaillerie sur or et sur argent pour créer les œufs de Pâques destinés à la cour des tsars. Bien loin de moi l’idée de comparer tel art à telle manière de faire, mais je viens de visiter la maison de Mme Claire Lafond et, croyez-moi, j’ai fait tout une découverte. Claire Lafond travaille les œufs d’autruche, de caille, d’oie, d’émeu du vert pâle au vert presque noir, (Australie), de nandou (Amérique du Sud), de dinde et de poule. Elle en fait des écrins devant souligner, avec plus de délicatesse que coutume, un événement : des fiançailles, un anniversaire de mariage, une naissance, une remise de diplôme. On peut y cacher une lettre d’amour ou de remerciement ou on peut, tout simplement, s’attarder comme les enfants devant un carrousel ou une belle boîte à musique. Dans ses œufs, il y a des amoureux qui devisent devant un gazébo fleuri, des enfants qui nourrissent des oies, des skieurs dans la poudreuse, une scène d’hiver bleue de froid, un randonneur seul au moment où la lune se lève, des fleurs de nos jardins et mille autres choses.
Comment elle procède ? Claire achetait ses œufs déjà vides, mais comme elle a besoin de contrôler le diamètre des petites ouvertures, elle les prend aussi encore pleins et doit les vider elle-même. L’odeur qui entoure l’opération est quasi insupportable. Elle a donc à nettoyer et désinfecter à la perfection l’intérieur et l’extérieur de la coquille. Elle étudie ensuite la forme de l’œuf et sa couleur, ce qu’il lui inspire, l’émotion du moment ; elle attend un peu et voit venir, à moins qu’une commande ne la dirige vers un type d’ouvrage bien précis. Il faut bien sûr mesurer l’œuf avec un mesureur spécial en bois, à l’ancienne, ou en plastique. Chaque mesureur semble avoir son rapporteur, mais je n’en suis pas certaine car je me suis retrouvée devant des calculs et des figures à la Léonard de Vinci qui m’ont rendue béate d’admiration. Les calculs faits, il faut couper. L’hiver, on ne peut pas couper d’œuf, ça sent trop mauvais et ça fait trop de poussière, une poussière blanche infiniment fine qui s’insinue partout. L’ouvrage nécessite l’emploi d’un outil rotatif avec des pointes miniatures à diamant ou au carbone, mais 35 000 tours, ce n’est pas assez vite pour les découpes en dentelle que Claire fait souvent, lors elle a aussi une fraise de dentiste, avec compresseur. Elle pose des pentures miniatures, des portes, des chaînettes, divers appareillages, tel que mécanisme musical ou deux ou trois paliers qui bougent et s’emboîtent, quitte à utiliser un vieux rouge à lèvres pour faire monter et descendre une partie de la scène. Quand tout est solide, elle décore l’intérieur de l’œuf : peinture, art du plissé et du drapé selon un livre datant de 1920, gallons et pierreries. Elle trouve parfois des miniatures qui l’inspirent, mais décide facilement de les faire elle-même car elle a un four à céramique à la maison. Que ce soit pour cette étape ou pour la décoration extérieure finale, elle utilise ses
très bonnes bases en couture, fait du découpage en dimensions, du transfert d’images, du collage, du repoussé et même de la peinture sur porcelaine. Bon, il faut penser à mettre une couche de protection sur le tout. Une couche ? J’ai tenu dans mes mains un œuf tout en dentelle, orné d’iris, qui avait nécessité 20 couches successives appliquées au pinceau. On ne peut pas couper court et utiliser un aérosol, car cela gâcherait irrémédiablement le gallon, les ajouts en tissu, les pierres du Rhin ou les petits cristaux. Elle termine en achetant soit un pied, une base en pierre, une poignée et, parfois, un coffret vitré, car plusieurs réalisations sont des œuvres de collection vendues à Vancouver, aux Etats-Unis, en France, en Belgique et ailleurs à des gens qui les attendent. Le Maine et le Texas sont friands de ces petites mises en scène poétiques.
Claire Lafond est une citoyenne de Saint-Donat tout à fait exceptionnelle. Plus que son art, c’est sa personnalité qui m’a stimulée, c’est tout dire. Elle aime une vie qui lui propose constamment des défis : « J’ai déjà passé 10 semaines à faire un œuf. Dans n’importe quel domaine de la vie, si un problème ne se règle pas, ce ne sera certainement pas parce que je n’aurai pas tout essayé ». C’est l’hiver encore, vous le savez maintenant, certaines coquilles ne se travaillent pas à l’intérieur, et son atelier, eh bien, c’est la table de cuisine point à la ligne. Pourtant, elle a tellement de projets… « continuer à peindre mes belles assiettes de porcelaine de Limoges »…,
« faire de la très belle gravure ou de la sculpture avec mes œufs d’autruche parce qu’il y a la couche extérieure grège, puis une belle couche bleu turquoise, et finalement du blanc, tu vois ça ? ». Elle a déjà offert une de ses œuvres aux Femmes Actives et en donnera une pour une campagne de financement destinée à aider l’Orchestre de Saint-Donat (je viens de me rendre compte que levée de fonds est un anglicisme – fund raising – traduit littéralement. Vous voulez partager ma découverte ?). Venez voir Claire probablement à l’église à la Saint-Jean, mais si
l’impatience vous gagne, je peux toujours vous mettre en contact avec elle.
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse