Une expérience déterminante
Quand Le Petit Prince aperçut pour la première fois mon avion, il me demanda
- Qu’est-ce que c’est cette chose-là ?
- Ce n’est pas une chose. Ça vole. C’est un avion. C’est mon avion.
- Comment ! Tu es tombé du ciel !
Et Le Petit Prince s’enfonça dans une rêverie qui dura longtemps.
Si je débute ainsi cet article, c’est que je veux faire une description simple mais également émotive de ce que j’ai vécu alors que monsieur André Gaudet et les Gardiens du Liberator commémoraient le 75ème anniversaire de l’écrasement de cet avion qui gît sur la Montagne Noire. Je ne connaissais rien des Forces armées canadiennes et encore moins de l’Aviation royale canadienne mais j’étais restée séduite par Le Petit Prince de Saint-Exupéry à cause de mes années d’enseignement. J’arrivais donc comme un personnage dans un conte.
Petit aveu, je n’ai pas fait la marche populaire jusqu’au site de l’écrasement mais mon conjoint et des amis l’ont faite. Il vous faudrait voir l’attitude, le sérieux des nombreux visiteurs sur nos photos. Le départ avait été donné par le fils du co-pilote Stephen Andrew Anderson, Peter, avec qui j’ai beaucoup échangé pendant la fin de semaine ainsi que par son neveu, Stephen Sanderson. Le soir il y a eu un souper tout simple mais particulièrement chaleureux au cours duquel ces deux descendants du co-pilote se sont joyeusement mêlés au gens de Saint-Donat.
Puis le dimanche matin a eu lieu la cérémonie au cimetière avec les officiers supérieurs de l’Aviation royale canadienne. Jamais n’ai-je autant été bouleversée par une célébration. Voir je ne sais combien de dignitaires avec tant de galons de toutes les couleurs de haut en bas de leur uniforme, des ailes dorées, des broches, des rubans dont j’aurais tellement aimé connaître l’histoire… Mais ils étaient trop imposants et avaient comme une aura de mystère qui incitait à la discrétion et à la retenue. Heureusement nos vétérans étaient là dont Daniel Juteau, Richard Bertrand et Benoît Durand qui avait été en charge de refaire le site en l’an 2000. Il y avait aussi François Garceau à l’aise, détendu, généreux. Ça m’a impressionnée de le voir fraterniser si aisément avec les officiers supérieurs. Mon cinéma continuait… le tout habilement coordonné par Marie-Christine de Tilly. La cornemuse, les trompettes, les cadets de l’air tout souriants, les magnifiques attributs et emblèmes qui disaient infiniment plus que la conformité, la convenance.
Lorsque les gestionnaire des commémorations et des relations externes a hissé le drapeau, tous les assistants de Saint-Donat présents, disons au parterre, se sont tus. Il n’y avait là rien de politique sinon nous ne serions pas allés. C’eut été la commémoration d’aviateurs décédés de n’importe quel pays, l’émotion aurait été la même car ils sont morts chez nous, sur notre Montagne Noire. On aurait dit que notre poitrine s’élevait au même rythme que le drapeau. Des collaborateurs à l’événement accompagnés de dignitaires sont allés déposer des fleurs au pied du monument dans un grand silence encore.. Ensuite il y a eu de courts discours. Le maire Joé Deslauriers et la conseillère Lyne Lavoie ont été constamment présents et concernés. Leur présence a été remarquée et appréciée à sa juste valeur.
À la fin de la cérémonie, il y a eu un cocktail à l’Hôtel de ville où j’ai eu le privilège d’offrir, au nom des Gardiens du Liberator, une toile au plus haut dignitaire présent, le brigadier-général Michel Lalumière. J’avais fait énormément de recherches pour la peindre correctement : documents du Musée de l’Aviation, du Musée de la Défense, étude technique de l’appareil (couleur exacte au moment de la tragédie, symboles sur l’avion, emplacement des tourelles des mitrailleurs, température pendant le vol à l’intérieur de l’habitacle, etc.). J’ai même rencontré il y a quelques années un militaire très âgé qui avait piloté un de ces 18,000 aéronefs et j’ai été témoin d’un rassemblement au Portland International Jet Port (Maine) où il était possible de faire un tour à bord d’un Liberator B-24, à un prix astronomique. Imaginez, j’ai eu en main des photocopies officielles du plan de vol fatidique. C’est pour cela que mon avion peint il y a cinq ans, puis revu, est si réaliste. De tout temps l’aquarelle a été le médium des découvreurs, des navigateurs surtout, aussi avoir été ainsi honorée au sein d’une commémoration aura changé ma vie. J’ai vécu deux journées bouleversantes. À propos, Saint-Exupéry l’auteur du « Petit Prince » était également aviateur. Il a disparu mystérieusement en 1944 au dessus de la Méditerranée aux commandes de son avion, un Lockheed P-38.
Merci à André Gaudet qui a mené le tout avec une force et une détermination hors du commun. Il a d’ailleurs reçu la médaille d’excellence de l’Aviation royale canadienne. Très très rare a dit le brigadier-général en la sortant délicatement d’un chamois.
Légende des photos prises par Jacques Cotnoir
1) Site de l’écrasement ( Octobre 1943, Montagne Noire)
2) Aquarelle de Nicole Lajeunesse (Liberator Harry)
Source : Journal Altitude, Nicole Lajeunesse